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Cette page contient une série d'extrait de critiques ainsi que les critiques complètes de Libération, Première, Le Monde et L'Express.
(Pour les articles complets, je les reproduit ici car ils sont déjà disponibles sur le net dans les sites de ces magasines)
L'accueil dans la presse a donc été favorable. Cependant, j'ai eu parfois l'impression que la qualité du film a amené certains journalistes a être particulièrement sévères. Un exemple pour éclairer ce que j'essaye d'expliquer: au lieu de voir l'exceptionnelle beauté visuelle du film, certains retiendront plutôt certaines "imperfections dans les gros plans". Il y a aussi le fait qu'à priori certains considéraient le film comme un "manga". Devant un tel mot, il y a de quoi être méfiant et aiguisé sa verve critique, non?... Enfin pourquoi toutes les critiques ne furent pas aussi bonnes que celle de Libération ?! Voici quelques morceaux choisis...
Pour en terminer avec cette rubrique Presse, je signale la sortie en kiosque d'un hors-série du magazine Animeland spécial Ghibli. Un numéro exceptionnellement épais mais aussi exceptionnellement cher (dommage pour un recueil d'articles repris). Il n'en reste pas moins un document essentiel pour les fans mais certainement parfois un peu ésotérique pour les néophites...
Articles en intégralité:
I B E R A T I O N | La forêt des spectres
«Princesse Mononoké», chef- d'uvre de l'animation japonaise, est un conte d'une étourdissante invention visuelle. La sortie de Princesse Mononoké d'Hayao Miyazaki doit être saluée comme un événement. On avait fini par croire que Disney ne s'était porté acquéreur des droits de distribution internationale du film que pour mieux l'enfermer jalousement dans un tiroir. En effet, présenté au Festival de Berlin en 1998, ce dessin animé étourdissant ayant battu des records d'affluence au Japon (juste après Titanic) fut pendant deux ans régulièrement programmé et déprogrammé, sans nul doute pour ne pas faire de l'ombre aux nouveautés des studios Disney mais aussi en raison de la spécificité du film, qui ne s'adresse pas précisément, ou pas premièrement, aux enfants, ni même d'ailleurs aux ados mangaphiles. Le film a fini par atteindre les écrans américains, en version doublée sous l'étiquette «indé» Miramax, filiale de Disney, preuve que ce bébé monstre a donné des kilomètres de fil à retordre aux décideurs de la firme américaine, qui se sont longtemps consultés sur son créneau de viabilité hors de son pays d'origine. Gaze translucide. Il est vrai que Princesse Mononoké a souvent été décrit comme le prolongement animé des grands films épiques de Kurosawa. Miyazaki, du moins, se réfère explicitement au genre du mélodrame historique, le Jidaigeki, dont il a cherché à renouveler et à moderniser les codes en jouant au maximum des moyens quasi illimités qu'offre le graphisme. Le film mêle des éléments historiques précis (sur l'ère Muromachi, au XVIe siècle) et la fantasmagorie la plus débridée (d'inspiration animiste et légendaire). Le foisonnement des détails et la vitesse des péripéties, la manière dont le film ne cesse de varier la tonalité des séquences, avec de brusques changements d'échelle, de l'aventure intime au destin collectif, la beauté chromatique bouleversante de certains plans, le souffle élégiaque traversant l'ensemble du récit pendant plus de deux heures, culminant avec l'apparition nocturne d'un dieu de gaze translucide et bleutée, tout concourt à faire de ce film des studios Ghibli qui aura nécessité trois ans de travail et quelque 140 000 cellos, et littéralement lessivé son auteur, un objet d'émerveillement et de sidération absolue. Contrairement à ce que laisse penser son titre, le personnage principal du film n'est pas une princesse mais un jeune prince, Ashitaka, qui, frappé par une malédiction mortelle, doit quitter les siens pour chercher le dieu-cerf seul capable d'abolir le sortilège. Sur sa route, Ashitaka rencontre un bonze faussement désintéressé, une chef de bande, Lady Eboshi, régnant sur le clan des Tatara, un peuple de forgerons constitué de hors-la-loi et de marginaux, et San, une orpheline vivant parmi les loups de la montagne et qui voue aux humains une haine meurtrière. C'est elle la «princesse des spectres», la Mononoke Hime de la version originale. Ashitaka, Eboshi et San constituent les trois pointes d'un triangle narratif et symbolique où les intérêts et les convictions de chacun s'affrontent en séries de conflits où nul n'a jamais complètement tort ou raison. Enigmes. Si la forme générale du film apparaît proche du roman d'initiation romantique avec ses constants voisinages entre les hommes, les bêtes et les fantômes, Miyazaki se réfère, pour l'irrésolution morale de son film, aux légendes japonaises où les personnages n'évoluent pratiquement pas mais sont condamnés à errer sans fin dans une forêt complexe de signes, d'énigmes, de cas de consciences et d'apories. La mise à sac de la nature par la communauté Tatara et la volonté des animaux de sauvegarder leur espace vital ne donnent pas lieu à une confrontation manichéenne, mais sont pris dans un mouvement de furie et d'apaisement discontinus qui emporte tout vers le chaos mais ne résout rien. Chantant avec une euphorie figurative rare la diversité et la profusion du vivant (gigantesque panorama végétal, disparité des espèces animales), le film fonce à travers les motifs successifs de la bestialité et de l'anthropomorphie, fait tournoyer la girouette de nos repères, la raison historienne scrupuleuse s'inversant en déchaînement poétique pour arracher de terre des instants de pure stase contemplative au cur des calamités. L'éclat rageur de dessins s'accorde au pessimisme du cinéaste, qui trace la courbe, en asymptote, du progrès et de l'autodestruction. La ruée suicidaire des sangliers, la transformation du monde en gigantesque champ de ruine hérissé d'arbres brûlés, la cavalcade de samouraïs décapités, sont autant de moments de violence vibrant par la seule texture d'images crayonnées et badigeonnées de couleur. On se frotte les yeux sans trop comprendre, et on voudrait surtout que ça ne s'arrête jamais. DIDIER PÉRON
Hayao Miyazaki, réalisateur du film Né,
en 1941, à Tokyo, diplômé déconomie et
marxiste de conviction, Hayao Miyazaki est devenu lun des papes
de lanimation japonaise en créant en 1984, avec Isao Takahata
(le Tombeau des lucioles), les studios Ghibli. Entré en 1963 dans
la section animation de la firme Tôei, il assiste à la dégradation
des méthodes de travail sous la pression de la télévision,
qui oblige à sortir des feuilletons animés à un rythme
industriel. Cest en réaction à cette dégradation,
il sattelle en indépendant à la réalisation
de longs métrages denvergure, quil maîtrise intégralement
(scénario, dessin, coordination, mise en scène). |
R E M I E R E | Bras de fer contre forêt dense. Au quinzième siècle, Ashikata est blessé en défendant son village contre un sanglier possédé par un démon. Sous le coup d,un sortilège qui le condamne à une mort prématurée, il part à la recherche d,un dieu-cerf qui pourrait le guérir.
En chemin, il fait la connaissance de villageois ambitieux qui fabriquent du fer et dont l'industrie menace l,équilibre de la forêt. Une jeune fille élevée parmi les loups s,y oppose par tous les moyens. Ashikata essaie de concilier les intérêts des uns et des autres. Du simple au complexe. Entre Mon Voisin totoro et Princesse Mononoké, il y a une différence de degré qui ne se limite pas à la distinction entre dessin animé et film d,animation. Cette fois, Miyazaki raconte une histoire complexe, presque dure à force d,intransigeance. Il n,y a pas chez lui de nostalgie d,un paradis perdu comme on en trouve chez Boorman (Excalibur ou La Forêt d,émeraude). L'engagement écologique de Miyazaki est plus pédagogique: il invite à prendre conscience de l'espace et du temps en inventant des images qui fonctionnent comme les souvenirs d'une vie antérieure, mythifiée mais plausible, dans laquelle l'équilibre entre les forces de la nature est différente. Ce faisant, il rappelle que nous sommes responsables de la façon dont nous modifions notre environnement. Les images de Miyazaki sont si fortes qu'elles donnent tout leur sens à l'idée d'animation. D'abord parce qu'il aurait été impossible de représenter autrement tout ce qui existe ici: une forêt à la végétation inouïe, des créatures magiques, des animaux géants, un dieu-cerf ectoplasmique et polymorphe, une bataille rangée entre guerriers et sangliers sauvages. Mais au-delà de la simple technique, l'animation remplit véritablement sa fonction en donnant vie aux personnages au point d'établir entre eux et le spectateur une affection sensible et durable. On peut avoir un problème mineur avec les références à la culture japonaise animiste, même si, par certains aspects, elle rappelle le paganisme celte. À l'évidence, Miyazaki est aux antipodes de la pensée cartésienne, notamment dans son refus du manichéisme: il ne montre ni bons ni méchants, seulement des amis et des ennemis, des alliances qui se font et se défont selon les intérêts ou les motivations. Les humains apparaissent comme les plus malins (dans les deux sens du terme) mais pas forcément les plus nobles. Ils sont battus sur ce terrain par d'autres espèces comme les sangliers révoltés qui, bien que conscients de se jeter dans un piège, y vont quand même pour le geste. C'est beau et tragique. C'est aussi une leçon d'humilité. Gérard Delorme |
E M | Princesse Mononoke : l'esprit de la forêt Princesse Mononoke. Ce somptueux récit d'aventures inspiré à Miyazaki par les légendes antiques pose le problème des relations entre l'homme et la nature. Film japonais d'animation de Hayao Miyazaki. (2 h 15.) Le personnage principal du film n'est pas la princesse qui lui donne son titre. Ce n'est même pas le héros de ce récit épique, Ashitaka, jeune prince d'un peuple déchu et isolé dans la forêt. Le « personnage principal » est une question, celle du rapport des hommes à la nature. Elle est posée avec une complexité tout à fait inattendue dans un dessin animé, sur un thème si propice aux simplifications démagogiques, et sur un tel ton, celui d'un grand récit épique. A peine le film a-t-il commencé que le vaillant Ashitaka anéantit au péril de sa vie un dieu-sanglier devenu monstre tueur qui menaçait sa communauté. Victime d'un maléfice qui le ronge, le jeune homme part à la recherche des causes du drame, début de la quête initiatique que conte Princesse Mononoke. Il découvre successivement un moine difforme et hilare chargé d'une terrifiante mission secrète, l'île-château sidérurgique commandée par une amazone artificière et féministe, la forêt magique où règne la divinité majeure et ambiguë qui donne et reprend vie à tous les êtres, et où les loups aidés d'une jeune guerrière - la princesse Mononoke - mènent une guerre impitoyable aux humains qui, pour produire l'acier, détruisent la forêt et l'univers habité par les esprits. Batailles, romances, séduction, énigmes, tout l'appareillage du récit épique est au rendez-vous, servi par l'incroyable virtuosité de l'animation. MASSE DES ÉLÉMENTS Dès la première séquence, on a compris où sont les atouts esthétiques du film. Certainement pas dans le dessin du héros, dont le visage est (délibérément ?) aussi asexué et inexpressif que dans l'ordinaire des dessins animés japonais. Et Princesse Mononoke ne cherche pas non plus à rivaliser avec les technologies sophistiquées d'animation grâce auxquelles chaque brin d'herbe semble bénéficier d'un mouvement autonome. Au lieu de viser une représentation hyperréaliste, c'est par la mise en forme de l'action que Miyazaki donne vitalité et style à son film. Il mise parfois sur la vitesse, parfois sur la masse des éléments simultanément présents à l'écran, parfois sur le cadrage et l'éclairage, toujours sur le montage et sur le rapport entre image et son - la bande musicale de Joe Hisaichi est d'une redoutable efficacité. Les qualités spectaculaires du film tiennent donc à des procédés cinématographiques plutôt qu'à ceux particuliers à l'animation. Cela suffirait à signer la singularité de ce qui est à la fois un film de distraction très réussi et un dessin animé différent des canons imposés par le format Disney (et désormais son rival Dreamworks). Mais l'oeuvre maîtresse des studios Ghibli, la société de Miyazaki qui, avec Princesse Mononoke, a pulvérisé les records de fréquentation au Japon, recèle surtout un étonnant scénario - exactement celui qui serait refusé par les majors pour excès de complexité. C'est que tous les protagonistes y sont placés sous le signe d'une troublante ambivalence. Ainsi de Mononoke, rien moins que gentille, ainsi de la belle patronne des Forges, séduisante et haineuse, accueillante aux proscrits de l'ordre social et décidée à exterminer la forêt et ce qu'elle symbolise. Ainsi du dieu à la double apparence, qui évoque lointainement le Pan de nos mythologies, ou du bonze Jigo, âme damnée de l'affaire et pourtant traité avec une bienveillance dont ne bénéficient jamais les « méchants » dans ce type de productions. Ainsi de Ashitaka lui-même, qui ne peut devenir héros de l'aventure qu'en perdant sa pureté originelle. Ainsi, enfin, de l'intrigue, qui jamais ne se réduit à une opposition simpliste entre état de nature et progrès technique, et se garde bien de valoriser entièrement l'un ou l'autre. Princesse Mononoke réussit donc ce prodige de susciter à la fois l'élan de satisfaction d'un récit d'aventures mené à bride abattue et la stimulante interrogation sur le sens jamais prévisible que prendra le récit. Jean-Michel Frodon
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