POINT DE VUE de Julien BRUNA |
Mononoke Hime
Hymne à la nature et à la tolérance
Mononoke Hime (Princesse Mononoke) est un film Superbe (avec un grand S). C'est le premier mot à être sorti de ma bouche après la première visualisation. Oui ce film est superbe. Tant au niveau des images que du scénario ou de la bande son. On sent bien la main de Miyazaki ainsi que le travail impressionnant de tous les membres du studio Ghibli (ils se onsidèrent avant tout comme une équipe). Ce qu'ils font c'est de l' "artisanat" par rapport aux travaux de certain studio de l'ouest sauvage qui bâcle leurs films pour une sortie mondiale à Noël. Messieurs prenez exemple sur ce studio du pays du soleil levant. Tous leurs films sont superbes (Mon voisin Totoro, Porco Rosso, Mononoke Hime et Le Tombeau des Lucioles sont les seuls que j'ai pu voir mais j'ai beaucoup vu sur les autres), autant ceux de Miyazaki que ceux de Takahata. On verse toujours une larme au générique de fin.
Ce qui frappe d'abord c'est la qualité visuelle et sonore, comme tous
les autres films du studio.
Le graphisme est beau tout simplement. La technique de dessin des
japonais avec ces grands yeux et ses bouches expressives permettent
vraiment
bien de faire passer les sentiments d'un personnage, bien que la taille des
yeux soit moins marquée chez Miyazaki. Le dessin des personnages est simple
mais tellement proche des lignes réelles d'un corps (dire que lorsqu'il a
commencé le dessin Maître Hayao ne savait pas dessiner un humain).
Certaines
personnes critiquent ces dessins, certes le sexe est assez indéfini chez
les
jeunes gens (cette confusion est tout à fait possible dans la réalité, à
qui
cela n'est jamais arrivé ?), mais ces représentations sont plutôt l'image
de
la personnalité du personnage. De toute façon le dessin est une science
humaine et les humains ne sont pas parfaits. Les décors sont eux aussi
magnifiques, notamment ceux avec les jeux de lumière et le soleil. Mais
chez
Ghibli on les sait capables de grandes choses (rappelons-nous "Mon Voisin
Totoro" avec ces magnifiques couchers de soleil). Les décors naturels sont
peux aussi magnifiques, ils sont nombreux dans Mononoke Hime mais ont
toujours été très réussis dans tous les films. Dans celui-ci la nature est
plus sauvage. Le studio a d'ailleurs effectué une sortie sur une île du
Japon ou la végétation est encore très présente afin de s'inspirer.
L'animation est quasi-irréprochable. Les scènes où les mouvements se
déroulent sur plusieurs plans à la fois sont magnifiques. Lorsque Ashitaka
monte sur la tour de guet (plusieurs plan pour le décor) ou lorsqu'il
traverse Tatara-ba avec Eboshi (on voit les hommes et les femmes
travailler), le décor atteint une profondeur impressionnante et les scènes
de foules paraissent tellement vivantes. On sent parfois un certain malaise
pour l'animation des animaux lorsqu'ils courent de face ou de dos (mais
c'est tellement minime). On est même parfois étonné du réalisme de certains
mouvements. Pourtant le film n'a quasiment pas utilisé l'assistance
informatique (sur 1600 plans seulement 100 ont fait appel à
l'informatique).
C'est la première fois qu'ils l'utilisaient vraiment. Elle est utilisée
pour
de courtes séquences du film. Elles sont très rares et rendent vraiment
très
bien. On les retrouve lorsque l'on voit le décor avancer par les yeux d'un
personnage notamment lorsque San attaque Eboshi dans la forge (la charge)
ou
lorsque Ashitaka chevauche son élan (aux alentours de la bataille que
livrent les sangliers). Une partie de la mise en couleur des cellulos s'est
faite en numérique, les vers des "Tatari Gami" sont réalisés par ordinateur
et le passage de la nature de vivante à morte, ainsi que la mort de Nago
sont réalisés grâce à une technique informatique appelée "Morphing" (pour
plus de détails sur les techniques informatiques je vous renvoie au "art
book" : "Princesse Mononoké Le Livre du Film" chez Dreamland). Le studio a
fait un effort particulier pour que les méthodes numériques s'intègrent
parfaitement dans le film et passent inaperçues. Le résultat est probant.
C'est beau. (Petit aparté, certains studios devraient prendre exemple sur
le
studio Ghibli. Sortir un film tous les ans au détriment de sa qualité en
abusant des moyens informatiques n'est à mon avis pas la marche à suivre.
Peut-être qu'un "Mononoke Hime" requiert deux bonnes années mais c'est
tellement beau). Cette beauté nous rempli de joie. J'ai beaucoup dit sur le
graphisme (normal pour un dessinateur), aussi je vais m'arrêter là, et
passer à la suite.
La bande son sert admirablement le film. Les fantastiques musiques de
Hisaichi placées au moment fort du film renforcent vraiment le message des
images. Je défie quiconque de ne pas verser une larme lorsque surviennent
ces décors verdoyant avec en fond le thème principal (l'air de "Ashitaka
Sekki"), lorsque Ashitaka montre aux habitants des forges que la haine et
la
colère transforment les hommes en monstres (avec toujours le même air, un
peu modifié) ou bien encore lors de la discussion entre Moro et Ashitaka
avec cette musique magnifique ("Mononoke Hime") et ses paroles poétiques
qui
parle de ce que ressent Ashitaka pour San, a cet instant on est pris de
mélancolie et on pourrait presque ressentir la peine de la forêt pour la
perte de ces sangliers héroïques. Les musiques lors de l'apparition des
"Tatari Gami" est inquiétante à souhait. Et la musique enchanteresse de la
dernière scène nous rempli de joie. J'ai entendu dire récemment que les
américains avaient traduit les paroles de la chanson "Mononoke Hime", je
trouve que c'est manquer de respect envers ses auteurs. Les bruitages ne
sont pas en reste, ils sont très réalistes et accompagnent bien l'action.
Oui la forme est belle mais il n'y a pas que çà. Tout d'abord Miyazaki
c'est énormément documenté sur l'ère Muromachi, cette période de crise qui
a
vu la fin de l'ère féodale. Il a aussi fait de ce film une oeuvre militante
en exposant deux problèmes assez grave, l'écologie (qui lui est cher) et la
nature profonde de l'homme. En y regardant bien ce sont les mêmes sujets
que
dans Nausicaä. Mais on sait qu'il se disait peu satisfait de la fin du
film.
Il a reprit ici ces sujets afin de vraiment nous dire ce qu'il voulait. Il
parle aussi dans ces deux films de l'importance et du sens de la vie.
En ce qui concerne le caractère historique, son oeuvre est très proche
des récits de l'époque. Mais il a bien-sûr pris quelques libertés au niveau
des protagonistes et plus encore au niveau de la religion shintô.
On le voit dans le film les protagonistes humains sont très proches des
gens de cette époque. Les habitants des forges montrent bien que ce genre
d'endroit est souvent occupé par des gens que la vie a rarement aidé, les
habitants étaient des exclus, des gens obligés de vivre loin de la
civilisation. Il a quand même insisté sur ce point. Les Tatara n'ont
vraiment pas eu une belle vie (elle semble supportable dans la forge) entre
les anciens brigands, les prostituées et les lépreux.
On peut voir aussi des samouraïs déchus (souvent appelé "ronin")
organisé en bandes de pillards, pillards souvent présents en période de
crise.
On peut voir aussi les Emishi, peuplade oubliée (de ce que j'ai pu
apprendre ce seraient les vrais natifs du Japon, ils ne viendraient pas de
croisements entre les différents pays d'Asie). Miyazaki a tenu à ce qu'ils
soient le plus fidèle possible aux écrits qui en parlent.
Et enfin les animaux-dieux qui sont tirés des croyances anciennes du
shintoïsme, et qui sont totalement imaginaires. Le shintoïsme étant peu
enclin à une représentation des "kami". En réalités le mot "kami" à un sens
assez abstrait, il ne représente pas une forme vivante concrète (il est
assez difficile de se faire une idée, pour les japonnais c'est facile cela
fait partie de leur culture). Tout ce qui est tiré des croyances
shintoïstes
est d'ailleurs assez dure à comprendre. Par exemple les mots "Tatari Gami"
et "Mononoke" ont été simplement traduit par démons et esprits/démons. Cela
est finalement bien trouvé car cela permet une bonne compréhension pour les
non-initiés. En réalité un "Tatari Gami" serait un dieu maudit et
"Mononoke"
est utilisé pour parler de toutes sortes d'esprits ou dieu de la forêt.
Ce coté historique donne envie de s'intéresser à l'histoire du Japon
qui
est finalement peu connu des occidentaux.
Une des caractéristiques du studio Ghibli est de faire passer un
certain
nombre de messages par ses films ainsi que son engagement dans ceux-ci.
Le message principal et totalement explicite dans "Princesse Mononoke"
est un message écologiste. Miyazaki a voulu faire une fin plus heureuse
dans
ce film que dans son autre oeuvre militante "Nausicaä" (ceci dit, je
connais
assez peu Nausicaä). Miyazaki est très préoccupé par la destruction de la
forêt au Japon. C'est pour cela qu'il y a toujours un message écologique
dans ces films (Nausicaä, Totoro). Son objectif principal dans ce film est
de montrer qu'il existe un juste milieu entre l'urbanisation et la
préservation de la nature. Dans ce film la forêt est décrite comme un lieu
mystique. C'est ainsi que Miyazaki pense que la forêt devrait être perçue,
comme quelque chose de beau et de mystérieux. Ce problème ne se limite pas
au Japon. En France aussi il existe certains problèmes, pas vraiment au
niveau de la végétation mais plutôt au niveau de la faune avec notamment la
disparition des ours et des loups (les ours sont encore quelques-uns dans
les Pyrénées, j'ai entendu parler d'une possible réinsertion du loup en
France). La cohabitation humain-animaux est souvent difficile et c'est le
problème posé par le film. Dans tous les cas ce sont les humains qui
empiètent sur le territoire des animaux, les humains ne considèrent pas les
animaux comme un peuple (Est-ce juste ? La question est posée. Mais après
tout qu'est-ce que la justice, ce sont les hommes qui décident du sens de
ce
mot), dans le film les animaux ont un statut plus important. Ce sont des
dieux et il parle le langage des humains. Miyazaki est plutôt du coté de la
forêt car Ashitaka (le héros) est attiré par San. Un ami m'a dis qu'il
trouvait ce film trop moralisateur car Ashitaka n'arrête pas de rabâcher
son
discours sur la paix entre animaux et humains. Je le trouve un peu dur. Oui
ce film est moralisateur, mais c'est finalement une morale assez
universelle
sur la tolérance entre les peuples et qui est tout a fait d'actualité (et
qui le sera sûrement toujours). Je pense qu'il est important, pour un film
traitant de problèmes assez graves, que la voie de la raison se fasse
entendre. Personnellement çà ne m'a pas du tout gêné (étant moi-même plutôt
pour un équilibre entre la nature et l'urbanisation). Ashitaka jeune
mourant, qui apparaît au milieu d'un conflit, va découvrir la folie humaine
(il était à l'abri dans son village perdu). Il me parait tout à fait normal
qu'il veuille la paix. D'ailleurs cette folie est largement ressentie aussi
chez les animaux notamment avec les Tatari Gami impressionnants de haine et
de fureur.
Ce qu'il y a de bien dans les films de Miyazaki, c'est l'absence de
manichéisme. La vie est plus compliquée, c'est d'ailleurs pour cela que les
films du studio Ghibli sont à réserver à un auditoire pas trop jeune. J'ai
été drôlement surpris par "Le tombeau des lucioles" qui parlent de façon
rude mais tellement réaliste de l'égoïsme et de la folie humaine. Dans
"Princesse Mononoke", il n'y a pas de véritables méchants (dans les autres
Ghiblis non plus d'ailleurs). C'est une vision assez réaliste de l'humanité
qui ne connaît que quelques grands méchants (des fous !). Les personnages
essayent simplement de vivre ou de survivre. Un homme est en fait composé
de
haine et de compassion qui s'exprime tour à tour plus ou moins longtemps.
Il
en est de même pour les animaux dans ce film. En réalité chaque personnage
à
un démon caché en lui. Le personnage typique est en fait Ashitaka car chez
lui ce passage entre haine et compassion est très net du fait de sa
malédiction. Chaque fois qu'il laissera la haine et la colère l'envahir la
tâche pourpre grandira (un peu à la façon de "La peau de chagrin" (Balzac)
qui rétrécit à chaque souhait et qui peut entraîner l'affaiblissement de
son
possesseur jusqu'à la mort) et il sera doté d'une force surhumaine qui
associé à sa dextérité au combat en fait un personnage redoutable (on peut
aussi comparer la malédiction au coté obscur de la force dans "Star Wars").
On s'en aperçoit à trois reprises : l'attaque du village par les
samouraïs,
lors du mémorable combat entre San et Eboshi (là c'est évident, moment
d'ailleurs servi par le thème principal, sniff c'est beau), il arrive
ensuite à ouvrir la porte du fort d'une main ou bien encore lorsque Yackuru
est blessé par une flèche. La folie chez Ashitaka est représentée par le
caractère incontrôlable de son bras lorsqu'il est empli de colère. Chacun
des protagonistes principaux va montrer sa part de haine et de compassion.
Eboshi qui semble voué une haine farouche envers San et la forêt, a
recueilli une population dont personne ne voulait. San hait les humains
mais
va finalement veiller su Ashitaka, jusqu'à ce qu'il aille mieux. Le sage
Ottoko va devenir un Tatari Gami "dieu de haine et de fureur". Même le
dieu-cerf n'échappe pas à cette règle. Il parait plein de bonté avec son
calme et son air sympathique, il gère paisiblement la vie et la mort dans
la
forêt. Pourtant lorsqu'il aura perdu sa tête, je pense qu'il laisse lui
aussi la haine l'envahir et se met à détruire toute forme de vie.
Ce film parle aussi un peu de l'importance et du sens de la vie. C'est
Ashitaka qui montrent l'importance de la vie, pour lui chaque vie est
importante, tout le monde à droit à la vie. Il regrette chaque fois qu'il a
du livrer bataille. Lorsqu'il est poursuivi par les samouraïs il leur dit
e
fuir sachant qu'il sera sûrement obligé de les tuer (à cause de la
malédiction). En arrivant au milieu de ce conflit il se pose aussi
eut-être
une question sur le sens de la vie, en voyant les gens s'entre-tuer.
Qu'est-ce qui vaut la peine de se battre pour ?
Ainsi ce film ne parle pas à mon sens que d'écologie mais aussi de la
nature profonde de l'humanité. Les ennemis ne sont séparés que par un point
de vue divergent, et Ashitaka essaiera de leur montrer le chemin. Je pense
que Miyazaki à cherché à montrer que le coeur de l'homme n'est pas mauvais,
mais que la haine, la douleur et la colère, dû au poids de la vie, est une
brume qui empêche celui-ci de voir clair et d'être clairement vu par les
autres à l'image des paroles de la chanson "Mononoke Hime" interprété par
Mera où il est dit que le coeur est caché derrière la douleur et la haine,
seul les esprits peuvent le voir. Peut-être le dieu-cerf a-t-il vu le coeur
de ces humains et a décidé de les laisser vivre, de leur donner une seconde
chance.
La lutte entre la nature et les hommes peut être assimilée, à une lutte
entre l'ancienne et la nouvelle civilisation. Comme souvent dans ces cas
une
des deux l'emporte et tous les avantages de l'une sont perdus. Dans ce film
il y a un message d'espoir, la possibilité d'un équilibre. Je trouve la fin
un peu utopiste. Car il est peu probable que les hommes changent d'avis si
radicalement (mais loin d'être impossible après une telle aventure). Mais
dans plusieurs générations tout ceci sera oublié et la forêt de nouveau en
danger. Mais le but de Miyazaki étant de montrer une alternative possible
au
conflit, une fin différente aurait enlevé tout sens au film, c'est en ce
sens que son oeuvre est militante. Son Film peut être résumé à une
question-réponse. Qu'est-ce qui est important ? Ce qui est important c'est
la tolérance entre les peuples avec comme priorité le respect de la
nature..
Julien "Julio" Bruna ambruna@club-internet.fr
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